Vladimir CALLER
On croyait que l'on était arrivé au summum de l'humiliation politique lorsqu'au sommet de l'OTAN à La Haie en juin de cette année, l'ensemble de la diplomatie européenne, à la seule exception de l'Espagne, s'était couchée devant les diktats de Trump et avait accepté de consacrer 5% du PIB aux dépenses militaires. Mais c'était sans compter avec les talents de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
En effet, ce 27 juillet avec son deal avec Trump elle a réussi l'exploit de surpasser la démonstration de servilité de La Haye. Dans l'histoire universelle de l'humiliation, cette séance a gagné une place d'honneur (d'autant plus que tout indique qu'on n'en est qu'à ses débuts...) et peut être comparée, sur ce plan, au Traité de Nankin (1842) que les empires occidentaux imposèrent à la Chine en conclusion de la guerre de l'opium. Dispositif par lequel ces puissances « civilisées », ne supportant pas l'opposition des autorités chinoises au commerce de l'opium des trafiquants britanniques, forceront militairement la Chine, et sa population, à s'ouvrir au commerce et à la consommation massive de cette drogue.
Cette fois, l'histoire bégaye comme le disait Marx, Donald Trump n'oblige pas l'Europe à consommer de l'opium mais du gaz de schiste et des armes étasuniennes et ce, dans des proportions défiant tout entendement. Ainsi, von der Leyen s'est engagée à importer rien moins que 750 milliards de dollars de gaz naturel liquéfié (GNL) et des combustibles nucléaires pour une durée de trois ans, c'est-à-dire 250 milliards par année, or l'ensemble de la consommation européenne n'arrive pas à la moitié de ce montant. Comment alors faire pour arriver à 750 milliards alors que l'économie européenne se caractérise par une grande morosité ? (sans parler de comment marier ce gaz de schiste avec son « Green deal » ?)
Sans oublier les armes
Pas de chiffres avancés, par contre, concernant le domaine militaire mais Trump fut bien clair en annonçant que l'UE achèterait des « quantités énormes » d'équipements militaires pour une valeur atteignant des « centaines de milliards ». C'est probablement le fait que l'industrie militaire étasunienne connaît des soucis de stock qui explique cette absence de chiffrage précis mais il est évident que, tel que pour le GNL, les volumes seront colossaux, encore au-delà du raisonnable par rapport aux capacités des pays membres pour assumer de tels achats. Quid alors des annonces tant proclamées pour créer et renforcer une industrie européenne de défense si on est, d'ores et déjà, attachés à renforcer celle des États-Unis ?
Des chiffres bien précisés par contre lorsque von der Leyen engage l'Europe à dépenser 600 milliards de dollars comme investissement direct aux États-Unis alors qu'elle n'arrive pas à mettre en œuvre les objectifs du Plan Draghi, pourtant si vantés par elle, visant à contrer l'exode des capitaux européens ! Plan détaillant le mode d'emploi pour renforcer l'autonomie européenne dans les domaines de l'énergie, l'industrie, la défense. Objectifs indirectement balayés par le président Trump entre deux séances de golf avec la complaisance de la présidente de la CE. Outre que cette dernière, en ce faisant, dépassait lourdement ses compétences, son engagement risque de poser de sérieux risques en cas, fort probable, de leur non-respect.
Le retour du bâton
En effet, les calendriers se sont entassés depuis les guerres de l'opium mais les pratiques, quoique sous des formes bien plus présentables, sont restées. Quid si les belles assurances faites au président Trump ne sont pas tenues ? Certes, nous n'aurons pas le sort de la Chine d'alors obligée, une fois vaincue, non seulement de s'ouvrir à l'opium, à donner à ses agresseurs libre accès à ses ports, à céder Hong Kong à l'empire britannique, et encore à les indemniser chèrement de leurs frais encourus (y compris pour les tonnes d'opium brûlés lors des perquisitions). Les formes seront mieux tenues mais l'esprit punitif de la puissance hégémonique ne fera que se renforcer. Il est déjà là, avant même que l'on puisse vérifier le respect ou non des termes de l'accord du 27 juillet.
Le cas de l'engagement par von der Leyen d'accepter, sans aucune contrepartie, les 15 % des tarifs douaniers et les 600 milliards d'investissements sont déjà des instruments bien concrets pour pénaliser l'Europe et ses contribuables. Ces 15 %, joints aux 10, 20 et 30 % assignés à moult autres pays, feront une cagnotte énorme destinée à compenser, sur le plan fiscal, la baisse d'impôts que Trump a promise aux grandes entreprises et à ses principaux actionnaires. Ces derniers seront donc encore mieux armés pour renforcer leurs projets de prédation planétaire. Et les 600 milliards seront le mécanisme idéal pour stimuler la délocalisation des entreprises européennes vers les EU ; goodbye donc aux projets de réindustrialisation de l'Europe (et dernier clou dans le cercueil de l'Organisation mondiale du commerce OMC).
En serrant la main de Trump, von der Leyen s'est réjouie d'un « bon accord qui apportera de la stabilité et de la prévisibilité » et l'a qualifié de « prochaine pierre angulaire dans le renforcement du partenariat transatlantique ». En octobre 2022, le média politique étasunien 'Politico' présentait un long rapport sur la Commission européenne sous le titre, « La présidente américaine de l'Europe : le paradoxe d'Ursula von der Leyen ». Difficile, nous semble-t-il, de mieux dire. [1].
(1) politico.eu (06-10-2022)